about

bio

Daniela Zúñiga est une artiste visuelle chilienne, installée en France depuis 2008 et basée à Paris depuis 2016. Formée à la fois en ingénierie mécanique et en arts visuels, elle développe une pratique transversale qui se déploie à travers l’installation, la sculpture, le dessin et la vidéo.

Son travail interroge les formes esthétiques des croyances, les gestes mythologiques et les systèmes de pensée païens, en dialogue avec les avancées scientifiques et le langage symbolique, afin de questionner la manière dont ces forces invisibles façonnent nos récits collectifs et notre rapport au réel. En parallèle, elle travaille comme décoratrice pour le spectacle vivant, une expérience qui enrichit sa réflexion sur la scénographie des croyances et les codes visuels en transformation. Elle a participé à des résidences au Creux de l’Enfer (Thiers) et à L’Attrape-Couleurs (Lyon), et a exposé à Marseille, Lyon, Paris, Clermont-Ferrand et Londres. Entre 2016 et 2018, elle a également dirigé et programmé Alma – Espace d’art, un projet curatorial et galerie au coeur de Paris dédié à créer des expositions en convoquant des artistes des différents horizons.

texte

Daniela Zúñiga — La matière, l’invisible et la conscience

Je conçois ma pratique artistique comme un champ d’exploration de la relation entre matière, esprit et conscience. Ce qui m’intéresse n’est pas de représenter le monde mais d’en sonder les interstices : ces zones où le visible glisse vers l’invisible, où la mesure scientifique touche au mystère, où les gestes humains deviennent des rituels de connaissance. Je cherche à comprendre comment l’humanité construit du sens à partir de ce qu’elle ne peut saisir —comment les croyances, les mythes, les systèmes symboliques et les avancées scientifiques traduisent le besoin de relier ce qui paraît séparé : l’esprit et la matière, la raison et la sensation, le savoir et le sacré.

Formée dans un contexte marqué par la pensée occidentale, je ressens la difficulté de sortir des cadres de la représentation et des systèmes de référence cartésiens, où la réalité est perçue comme stable, mesurable, et extérieure à l’observateur. Mon travail naît d’une résistance à cette logique de séparation. J’explore les traces d’une connaissance antérieure — celle qui percevait l’expérience humaine comme indissociable du monde, où le geste, la croyance et le rituel étaient des formes de pensée vivantes. Les traditions païennes, les mythes fondateurs, les symboles sacrés sont pour moi des langages qui réaffirment cette continuité entre la conscience et la matière. Ils incarnent une manière d’être au monde où la transcendance n’est pas ailleurs, mais dans la texture même du réel.

C’est pourquoi mes oeuvres fonctionnent comme des zones de passage : entre le corps et la pensée, entre le visible et le signifié. J’aime que les matériaux deviennent des vecteurs d’ambiguïté : la poussière, le sang, la cire, le charbon ou les pistils de pissenlit portent à la fois une dimension physique et spirituelle. Leurs états précaires — ce qui s’effrite, se dissout, s’envole — parlent d’une temporalité instable, d’une tension entre apparition et disparition.

Mes recherches dialoguent avec les sciences contemporaines, non pas pour illustrer leurs théories mais pour en éprouver la portée sensible. Les découvertes de la physique quantique, les images astronomiques, les technologies d’imagerie médicale nourrissent ma réflexion sur la nature de l’observation et sur la porosité entre observateur et phénomène. Dans Heartbreak (2018), la pulsation de mon coeur entre en résonance avec le signal d’un pulsar capté par la NASA : deux battements, humain et cosmique, se répondent dans un même rythme. À travers ce dialogue, je questionne la notion de mesure : qu’est-ce qui se joue dans l’acte d’observer, de traduire un phénomène en données ? Et que perd-on — ou gagne-t-on — en transposant ces signaux dans une forme esthétique ?

Je perçois la science comme un système de croyances contemporain : elle propose ses propres mythes, ses propres rituels, ses propres images de la vérité. À ce titre, elle prolonge, plutôt qu’elle n’abolit, la tradition symbolique. C’est cette continuité que je tente d’explorer : les technologies du visible (le télescope, le scanner, le microscope) deviennent des métaphores du regard humain — un regard qui cherche à comprendre, mais aussi à ressentir.

Je travaille souvent avec des matériaux modestes et élémentaires : poussière, cendre, soie, papier, métal ou tissus recyclés. J’aime leur fragilité et leur résistance, leur capacité à capter la lumière et à témoigner du passage du temps. Ces substances contiennent pour moi une mémoire : elles gardent la trace des gestes, des souffles, des transformations. Elles sont le lieu d’une pensée incarnée. Dans Paraedeza (2013), un tapis de poussière reprend la forme symbolique du jardin persan : microcosme où le monde se concentre dans un périmètre sacré. La poussière, presque intangible, devient le support d’un cosmos réduit à l’échelle du geste. Dans Immortalità (2014), une croix faite de branches entourée d’abeilles mortes évoque la tension entre cycle vital et promesse d’éternité ; l’oeuvre devient un autel où les forces de vie et de mort s’équilibrent.

Chaque pièce est pensée comme une expérience : une composition païenne, ni démonstrative ni narrative, où l’intuition précède le concept. Mon processus consiste à laisser émerger des formes issues du ressenti — des formes qui traduisent, plus qu’elles n’expliquent. C’est dans cette non-linéarité, dans la coexistence du hasard, du rituel et de la pensée, que se dessine la cohérence du travail.

Je conçois mes oeuvres comme des systèmes ouverts, où l’information scientifique et la sensation esthétique ne s’opposent pas mais se prolongent. Entre la donnée et l’émotion, entre le chiffre et le geste, il existe un espace d’interprétation que je cherche à habiter. Cet espace est celui de la matière sensible, où l’observation devient perception, et la connaissance, expérience. Les concepts contemporains de la physique — comme la gravitation, la non-linéarité du temps, ou la multiplicité des dimensions — me permettent de penser le monde comme un réseau de relations plus que comme une somme d’objets. À l’image de la pratique scientifique, l’art n’est pour moi ni affirmation ni conclusion : il est une manière d’habiter le doute, de transformer la complexité en sensation.

Je décrirais ma pratique comme une écologie perceptive : une tentative de reconnecter la conscience à son environnement matériel, symbolique et cosmique. Je crois que les oeuvres peuvent agir comme des lieux de résonance, où le spectateur éprouve physiquement ce lien.

Entre les croyances anciennes et les imaginaires technologiques, mon travail cherche à construire un langage de la correspondance. Les mythes et la science, le corps et la donnée, la mémoire et la lumière y cohabitent sans hiérarchie. Ce que je poursuis, finalement, c’est la possibilité de rendre visible un mouvement de la pensée : celui qui relie le souffle du vivant à la vibration de l’univers. L’art, pour moi, n’est ni un miroir ni une explication, mais une expérience d’unité — un lieu où l’esprit et la matière se souviennent qu’ils ne furent jamais séparés.

CV